🇫🇷 La singulière histoire d’un dessert franco-américain.

2025-12-04
2025-12-04 FranceQui

Tout démarre en 1866 ou 1867, selon le roman gastro-national français.

Balzac, pas l’écrivain mais l’autre, dirige les cuisines du Grand Hôtel de Paris… à Monaco. 1867 est une année importante pour la capitale française, car elle accueille, pour la deuxième fois, l’exposition universelle.

Hotel de Paris à Monaco

Hotel de Paris à Monaco

Balzac veut impressionner avec un dessert scientifique. Il semble inspiré par une découverte gourmande de Benjamin Thompson sur les propriétés isolantes du blanc d’oeuf battu.

Certes, il y a des sujets de recherche plus spectaculaires que d’autres, tout le monde ne peut pas découvrir les mystères cachés de la fission nucléaire. Mais concrètement, il aurait quand même inventé des vrais trucs qui pèsent, comme la cuisinière et la cafetière à filtre. Je me moque mais allez voir la biographique de Benjamin Thompson, c’est vraiment un homme à mille facettes.

Petite parenthèse : Benjamin Thompson n’est pas un contemporain de Balzac, il est mort en 1814. Mais Balzac, tu sais, il savait faire ses propres recherches, sans l’influence des médias mainstreams.

Ainsi, après avoir lu un livre et appuyé sur tous les boutons de son four, Balzac invente un dessert glacé recouvert d’oeuf battu. C’est un dessert ludique. Froid à l’intérieur, chaud à l’extérieur. On y retrouve la texture de la crème glacée, de la meringue, c’est gourmand et craquant.

Mais c’est surtout le début d’un énorme non-sens géographique digne d’un micro-trottoir américain. En effet, le fameux Thompson dont il s’inspire, est né dans le Massachusset. Américain donc ! Enfin point de vue nationalité, c’est compliqué à cette époque. Disons qu’il est fils de colons britanniques, et se battra d’ailleurs du côté des anglais, contre les insurgés.

Au cours de sa carrière, il devient comte de Rumford en Bavière, où il accompagne des réformes sociales sous son administration, comme la fin de mendicité et la création des premieres soupes populaires (d’où la soupe Rumford), pour finalement rejoindre Paris les quinze dernières années de sa vie.

Balzac en lui rendant hommage, aurait pu choisir n’importe quelles identités nationales, mais c’est le passage bavarois qui semble avoir d’avantage marqué l’histoire, peut être par son titre de noblesse ? Et qui inspire notre chef pour le nom de ce dessert.

Mauvaise nouvelle cependant, Balzac, qui a l’air plutôt balaise en physique appliquée, se révèle être une bille complète en géo.

Il pense que la Bavière est en Norvège ! Et v’là-t’y pas qu’il décide de nommer ce dessert “omelette norvégienne”, en hommage à Thompson.

Donc je résume, car c’est chaud :

– Benjamin Thompson est né en 1753 en Amérique du nord, il est britannique.
– Vers 1785, il rejoint la Bavière, en Allemagne où il est anobli
– En 1804, en France, il établit le pouvoir isolant du blanc d’oeuf battu
– En 1867, Balzac applique la découverte de Thompson et réalise un dessert en son hommage
– Mais pas de chance, notre chef cuisinier situe par erreur la Bavière en Norvège

La suite de l’histoire se déroule de l’autre côté de l’océan. Nous sommes en 1876 (soit 9 ans plus tard) et le restaurant Delmonico, à New York, décide de faire ce qu’Hollywood fait de nos films et séries, à savoir un remake américain, qui va marcher, lui.

Au mois de mars de la même année, les Etats-Unis ont fait la jolie acquisition, non pas du Groenland ni de Gaza (ça c’est en 2026), mais de l’Alaska. L’omelette norvégienne est ainsi rebaptisée Baked Alaska pour célébrer l’évènement. Le dessert connaît ainsi un succès international grâce à un meilleur marketing, des effets spéciaux plus avancés et une musique de Hans Zimmer (ou presque).

Delmonicos New York Restaurant

Delmonicos New York Restaurant

Chaud devant, je vous emmène désormais en automne 2024. Je suis à Leamington Spa en Angleterre et je vante la gastronomie française à un collègue coréen, comme tout français relou qui se respecte.

Il me vient alors l’idée de lui partager le menu en anglais d’une brasserie de renommée pour mieux communiquer sur les plats. C’est à ce moment précis que je découvre l’existence du Baked Alaska. Je m’insurge… mais qu’est-ce que c’est que ce truc, est-ce vraiment un dessert français ?

J’ouvre le menu en français, cette fois. Baked Alaska s’appelle désormais Omelette Norvégienne. Stupéfaction. Je découvre les histoires sur ce dessert, je retiens ce qui m’arrange le plus, et je me régale.

Brasserie St Georges Lyon - omelette norvegienne et baked alaska

Brasserie St Georges Lyon – omelette norvegienne et baked alaska

En plus de la légende, déjà rocambolesque, je découvre de surcroit que plusieurs autres personnes, décident d’appeler ce dessert diffémment. J’apprends l’existence de la traduction allemande, suédoise, chinoise, néerlandaise, et norvégienne ! Je ne peux plus m’arrêter, au point de saouler absolument tout le monde autour de moi avec cette histoire d’omelette norvégienne. J’attends toujours la réponse de Palli pour l’islandais, d’ailleurs.

1er Mars 2025, il est 18h et je m’ennuie comme jamais. Tous les réel ont été scrollés sur Insta, j’ai regardé 4 fois l’interaction Trump-Zelensky sur X, selon le point de vue européen, trumpiste, poutinien, pastafarien…  et je me décide. Ce soir, je vais créer LA carte.

Voilà donc le résultat de ces nombreuses heures de travail. Il y a énormément de pays pour lesquels je n’ai pas eu de réponse, mais je n’ai pas manqué de remarquer que l’office québécois de la langue française tient à l’appellation Omelette Norvégienne, me permettant ainsi de remplir de hachures une immense partie de la carte.

Les belges, de façon moins spectaculaire pour cause de superficie dépassant à peine les 30 000 km2, se divisent également entre la version française et flamande de l’appellation de ce dessert.

A ce propos, quelqu’un peut m’expliquer pourquoi les Pays-Bas, eux, ont choisi la dénomination Omelette Sibérienne ? Si on découvre qu’un neerlandais ou un flamand a situé l’Alaska en Sibérie, promis, je ne jugerai pas.

La Norvège, quant à elle, n’a pas boudé le petit plaisir qui se présentait gratuitement à elle, et a décidé de garder le dessert dans ses terres. Merci aux norvégiens ! Benjamin Thompson, l’américain britanno-bavarois mort à Paris qui a inventé la cafetière à filtre, serait fier de vous.